Sonntag, 20. Dezember 2009

Nana


C'était toujours la même voix vinaigrée, mais à présent elle
grattait si bien le public au bon endroit, qu'elle lui tirait par
moments un léger frisson. Nana avait gardé son rire, qui
éclairait sa petite bouche rouge et luisait dans ses grands yeux,
d'un bleu très clair. A certains vers un peu vifs, une friandise
retroussait son nez dont les ailes roses battaient, pendant
qu'une flamme passait sur ses joues. Elle continuait à se
balancer, ne sachant faire que ça. Et on ne trouvait plus ça
vilain du tout, au contraire; les hommes braquaient leurs
jumelles. Comme elle terminait le couplet, la voix lui manqua
complètement, elle comprit qu'elle n'irait jamais au bout.
Alors, sans s'inquiéter, elle donna un coup de hanche qui dessina
une rondeur sous la mince tunique, tandis que, la taille pliée,
la gorge renversée, elle tendait les bras. Des applaudissements
éclatèrent. Tout de suite, elle s'était tournée, remontant,
faisant voir sa nuque où des cheveux roux mettaient comme une
toison de bête; et les applaudissements devinrent furieux.

EMILE ZOLA - NANA

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